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5 juillet 2012 4 05 /07 /juillet /2012 06:40

Une gorgée de vin, la parfaite et comique vision d’une ville anéantie et la compagnie de quelques amis insouciants en apparence tandis qu’ils marchent vers le nord suffisent à remplir mon âme d’ivresse.

 

Ma femme attend là-bas sagement ou pas, allez savoir, mon retour au matin, et ses seins bruns parfaits sous la soie noire et ses mains aveugles et ses yeux qui n’oublient rien, j'espère, de nos courses radieuses et folles à travers le temps.


Mon fils rêve de planètes merveilleuses où la parole à elle seule fait le mal et le défait, comme le vent sous mes yeux joue vert et jaune à la surface du canal dix mètres en contrebas, et ses mains restent sur les draps paumes ouvertes, immenses cartes glorieuses et tendres, sûres de tout décrire, de tout toucher, de tout ouvrir au matin, si proche déjà!

 

L’aimée sur les rails, imprévisible source, est partout présente, elle qui ne le sait pas encore, et même si je ris pour me jouer de cette infinie distance entre les murs immaculés, ce rire sans fin bénit le monde.

 

La nuit est traversée de quelques solitudes. Aucune ne m’attriste. Aucune ne m’arrête. Certaines m’émerveillent. Toutes me réjouissent. Toutes sont inutiles. Bof. Quelle comédie!!!

 

Je joue pour le temps. Le temps joue pour tous. Et peu m’importe que tous ne jouent pas. Je ne suis pas—Je suis—Je suis ivre—Je veux dire infini. En attendant que la sortie vienne à moi tranquillement, Ariane ou pas, j'ai saboté toutes les horloges.


A six heures en face de la gare du nord ce sera tout de même quatre croissants, trois oeufs au plat, une belle tranche de bacon et un grand chocolat chaud siouplé.

Barataria, 2005

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5 juillet 2012 4 05 /07 /juillet /2012 06:34

Je traverse les rues et les rues me traversent.
La ville dort tout entière et ma richesse est infinie.
Autrefois j’aurais désespéré d’être seul à la pressentir, la savourer.
Aujourd’hui je suis sage, et fou, je me réjouis seul, mon esprit est en paix.
Mon corps malgré la nuit passée au dehors est brûlant de force.
Les mots simples sourdent dans mon cœur
comme au flanc d’une montagne après l’orage.
Plus rien n’a d’importance.
Vers la porte de Montrouge à cinq heures trente-sept du matin une idée me vient.
Je vais courir le monde, voir si mon bonheur tient là où personne,
Aucun, aucune de ceux que j’ai connus,
sauf elle peut-être,
ne pourra jamais rêver d’aller,
par peur de perdre ce qu’ils ne possèdent pas.
Je suis l’amoureux infini.
On n’a pourtant jamais vu plus raisonnable que moi.
J’allume un cigarillo, je relève le col de mon blouson trempé,
je souris déjà.
Et l’aube est peuplée d’autres rieurs
qui acquiescent.

 

Barataria, 2005

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 10:32

"La question du nom d'auteur est importante, non?

 

- Oui et non.

 

- Donc? Pseudonyme ou pas?

 

- Le nom que l'on t'a donné à la naissance était un pseudonyme.

 

- Je vois l'idée. On n'a pas de nom tant que l'on ne s'en est pas donné un soi-même?

 

- Un seul? Il faudrait un nom pour chaque heure de nos vies, en tout cas une petite centaine de noms tous les trente ans.

 

- Shizophrénie?

 

- Bien sûr.

 

- Maladie?

 

- Hygiène.

 

- Mentale?

 

- Physique.

 

- C'est un exercice?

 

- Non, c'est comme se laver les pieds tous les soirs ou prendre soin de ses dents.

 

- Mais les gens font autre chose que toi avec les noms.

 

- Oui, s'ils ont ton nom ils s'imaginent pouvoir te suivre et que ça va suffire, classique, chaque fois qu'ils te revoient ils essaient de recoller les morceaux, de vérifier que tout ça tient ensemble, que tu ne leur as pas échappé, que tu n'es pas devenu quelqu'un d'autre, que tu n'étais pas quelqu'un d'autre la dernière fois qu'ils t'ont vu, que tu n'as jamais été quelqu'un d'autre, que tu mourras comme ça. Si tu leur fais plaisir en un instant ils se disent: c'est bon, c'est lui, au suivant. Le reste de la conversation ne vaut rien.

 

- Paranoïa, de ta part?"

 

Elle rit, je ris.

 

"Et de leur part, à ceux qui sont comme ça, c'est quoi?" je demande en continuant de sourire.

 

Elle ne répond pas, elle me regarde, je la regarde, elle lève son verre.

 

Avalanche Time, 2011

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 10:21

 

 

 

 

Je suis tout et toute chose.
Huit ou quatorze mains bois allumettes tunnel olives torches caravane hérissons merde pinceaux verre cigarillo rues pluie cheveux vent parapluie piles rails escargots fleuve herbe pont feu rouille lumière acrylique géomètre
déluge arbre mains, encore.
Derniers jeux innocents.
Alors je levai un à un les voiles.
Eh ben les mecs je crois bien en avoir assez vu par ici. Cette ville est morte depuis 50 ans à vue de nez. L’un des vieux l’disait déjà. Maintenant tentons une vraie sortie, si ça vous dit. Sortons des tranchées de liberté qu’on nous a mesquinement laissées, petites, grandes ceintures parisiennes, on pourrait même les faire infinies, contemplons ce gâchis, ce désert, ce bordel négatif, et croyons le vieux fou.
Tout a d’ores et déjà été réglé.
Paris is dead. Dead Town for Dead Men and Dead Young Women.
Je n’ai plus désormais qu’un projet qui vaille : QUITTER LE MONDE.
Mourir ? Nous nous sommes mal compris... JE REVIS. Désolé… c’est vous les morts… Quant à mourir avec vous ? Mourir ici !? Plutôt vivre !!!
Laissez-moi 8 mois pour préparer ma dédaigneuse évasion et celle de quelques êtres chers, si possible dans des directions opposées selon le fameux principe de dispersion : moins on est de rebelles sur le même chemin, plus il faut d’obus de 150 mm ; moins on est de personnes en situation irrégulière dans la même maison murée, plus il faut d’indics ; et moins on est de guerilleros du verbe dans la même forêt de signes, plus il faut de rentrées littéraires.
Allez où vous voulez, ce n’est une question ni de kilomètres, ni d’heures de vol, moi je prends au sud-ouest ou au sud-est, je ne sais plus, j’ai le choix entre sauter les Alpes ou l’Atlantique, les skis de fond, le cheval ou le cargo bananier, je verrai ça au dernier moment après consultation de l’Indien fou, de l’ingénue Thrace, du combatif Gamin et du Cheval dont il est question.
Dans 8 mois en tout cas, bye bye les pourris, mes prosopoèmes à venir seront écrits dans un français tzotzile ou grec ou khirghize, merci, vous pouvez garder votre camelote académiologique, revendre ailleurs vos manuels du parfait manager et remballer allegro vivace votre civilisation de goules.
Je veux me souvenir juste d’une main froide dans la mienne sous le déluge qui cesse abruptement, d’un boulevard dont le quart d’une heure nous sommes silencieux les princes aériens, d’une fille qu’on veut défigurer que j’arrache à la meute, du vieux fou de Chinois sous l’église qui parle toujours pour moi, du labyrinthe à Picasso où la fille en formes me sourit, du type qui enterre son fils et ramène ses vêtements dans une valise que je porte sans effort, du pylône rouillé qui tangue quand j’écarte les bras pour voler, des tunnels quand on est au milieu et que la sortie visible à peine encore fait le huitième de l’ongle du petit doigt, des cheminées de béton où accroché aux barreaux rouillés à trente mètres tu comprends que si tu lâches tu es mort et tes copains sont dans la merde, d’une jeune québecoise qui me fait fumer tous les jours son infâme poison à rêver le présent, d’une fille qui m’invite à visiter son hangar à bateaux vers minuit et d’une autre qui frappe en maillot de bain à la porte de ma cabine. Et puis bien sûr il y a pas loin le fou de la Vallée des 15.000 livres et le cerf quand je courais des heures sans perdre haleine, et Laura à cheval et notre ancien champ de maïs neuf et les renards et les corbeaux qui t’avertissent que le temps brûle.
Je ne vous laisserai pas rassurez-vous sans quelques mots d’explication, quelques paroles salvatrices, quelques formules bien trempées, quelles recettes douces-amères de derrière les lignites, histoire d’inviter ceux et surtout celles qui le méritent à définitivement (dans un avenir que je leur souhaite infiniment proche) METTRE LES BOUTS.
Sachez donc que, dans l’ordre :

 
1) IL N’Y A NI ESPACE, NI TEMPS.
2) RIEN N’EST POSSIBLE. TOUT EST, OU N’EST PAS.
3) L’AMOUR EST ASSOCIATIF, COMMUTATIF, DISTRIBUTIF ET OPERADIQUE.
4) JE SUIS MILLE FOIS. (EVENTUELLEMENT LE PLUS PAUVRE, LE PLUS RICHE.)
5) DEUX ET DEUX FONT UN.
6) L’ECONOMIE EST UN ACTE FAUX.
7) SOIT ON MEURT, SOIT ON EST IMMORTEL, SOIT VOUS ÊTES UN HOMME, UNE FEMME ETRANGE.
8) LA SOCIETE SE CROIT SEULE, ET IL Y A VOUS.
9) L’ÊTRE AIME LE NEANT. LE NEANT AIME L’ÊTRE.
10) LA MACHINE N’A JAMAIS RAISON.
11) LE POUVOIR EST UNE CHAISE POURRIE.
12) LA TERRE N’EST PAS UN MONDE.
13) MIEUX VAUT NE RIEN VOULOIR PLUTÔT QUE VOULOIR LE RIEN.
14) ULYSSE REVIENT.
15) APRES L’INFIME DEDANS, VOICI L’INFINI DEHORS.
16) L’ESPRIT EST LA CHAIR.
17) LA VERITE EST INFINIE.
18) LA SITUATION A DEJA EXPLOSE.
19) TOUT COMMENCEMENT EST ABRUPT.
20) VOUS ÊTES LIBRE A TOUT MOMENT DE VOUS LEVER, ET DE PARTIR.


De rien.
Quelque part entre l’être, le néant, un échiquier et une bouteille d’un bon cognac,
Le soi-disant 2 octobre 2005.

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 09:21

 

 


Samedi Marina passe la journée à la BNF, Marco l’après-midi chez sa copine Lucie, je fais un saut au Quartier latin pour revoir René et écumer un marché de bibliophiles campé dans le cloître d’Henri IV.


Brassée de souvenirs beaux et ridicules, mes 18 ans, mes arrivées bien avant le lever du soleil dans la pluie d’octobre ou le froid glacial de décembre, Dubliners, le prince Mychkine, surréalistes, Artaud, Kafka, Rimbaud, départs à nuit tombée dans les bruits, les odeurs, les bruines, les néons et les phares neufs de la ville aliénée, j’évite au mieux les cénacles rancis, les royalistes roublards mais sur les nerfs, les fan-clubs féminins des futurs majors masculins aux concours, les génies du mépris critique façon Lukasc&Co, les joueurs d’échecs pète-sec et les apprenti-salariés de l’anti-heideggerianisme français, les amourettes de studio et les soirées mondaines, les jazzmen précoces mais déjà formatés, les cinéphiles sans fil, et puis enfin la récompense pour ma patience et ma persévérance dans la joie, voici le parfum violent d’Aurélie et son beau visage inquiet, sa peau mate et ses cheveux crêpus (c’est une obsession, je sais), son parapluie cassé mercredi midi sous la pluie et le vent, son corps superbement discret que l’on devine à peine sous son long manteau noir, ou crème, ou bleu, son rire effréné dans la rue du Néant reconnaissant, notre franchise et notre incompréhension irréversibles et sa belle écriture, les mots tendres et distants qu’elle glisse pour moi dans une belle enveloppe blanche, la rose que je ramène un soir d’hiver devant cette fenêtre avant de les voir embrassés là où les jazzmen en titre, affreusement vulgaires, nient la possibilité même de l’esprit, et de l’offrir à la première jolie passante venue. 

« Tu as l’air triste.
—Hier je voulais t’offrir une rose.
—Pourquoi tu ne l’as pas fait ?
—Parce que j’ai compris à temps.
—Qu’est-ce que tu as compris ?
—Rien. Tout. » 

 

Et les départs sous le grand soleil de midi quand la ville si mal connue m’attend et les filles de la rue Blanche qui hèlent trois fois et celle, cheveux ambrés, que je finis par suivre jusqu’à sa mansarde gelée et le goût de ses lèvres qu’elle m’offre contre toutes les règles du plus beau métier du monde peut-être par oubli devant mon irradiante jeunesse et mon insolente joie et l’irrésistible Cécile F. croisée trois fois et qui pour décliner mon offre certes très irrespectueuse entre deux portes prend la peine de dédaigneusement me détailler le pourquoi le comment de son emploi du temps hebdomadaire tu comprends Thomas tu t’appelles Thomas c’est ça tu m’as vue l’année dernière dans ce théâtre je me changeais dans la cabine d’à côté et tu te souviens de moi mais moi tu vois je n’ai pas un instant à perdre je prépare deux pièces de théâtre et puis le concours dans deux ans et la danse le judo et je commence le grec et mon copain et toi si vous vous et si tu me je n’ai pas le temps pour et les trajets sans fin en RER avec la foule toujours renouvelée des millions de goules où je finis tout de même par retrouver chaque matin l’émouvante inconnue de la Hacquinière, blonde et grave, qui vient toujours s’asseoir à ma droite même lorsque j’ai changé de place et que je finis par effrayer en lui tendant sans trop d’illusions mon numéro de téléphone… 

René me tire de mes rêveries amusées et me présente un type qui imprime des livres de luxe depuis 25 ans et a malgré tout gardé un certain sens de l’humour : « Je survis très bien. » 

 

Je jette un œil, répugnant à mettre des gants, même blancs, pour tourner les pages de ces marchandises de choix. 

 

Textes de poètes aliénés, tronçonnés ou nuls. Traductions tronquées, navrantes, du chinois (Wang Wei, et il y en aurait pourtant de belles, politiques à souhait : Vous qui venez de mon pays natal / Devriez en connaître les nouvelles / Le jour de votre départ devant la fenêtre de soie / Les pruniers d'hiver étaient-ils déjà en fleurs ?).

 

Belle matière. Beaux formats. Hiéroglyphes. Mains préhistoriques. Origami. Art abstrait. Verbe considéré comme périphérique. 200 euros.


René m’explique en rigolant que d’après le type, comme d’habitude, on pourrait tirer une dizaine de livres différents, tous à 200 euros, d’Iris et Chaos, que nous cherchons à éditer en version rigoureusement intégrale depuis 6 mois, si possible 10 fois moins cher. 

 

Il ne nous reste donc plus, comme un sympathique employé du Centre National du Livre nous l’a amicalement suggéré, qu’à fonder notre propre maison d’édition ou quelque association fantôme du style les éditions Toujours de l’Audace ou les Presses Ducales de l’Île de Barataria. 

 

De toute façon j’étais prévenu : On ne saurait appeler création ce qui n’est qu’expression personnelle dans le cadre de moyens créés par d’autres.

 

J’en rigole moi aussi à l’avance. C’est l’option éditions clandestines. Hop, le maquis. Tout ça est très logique, au fond. Comment répandre dans nos métropoles crues modernes, à l’heure du tourisme et du terrorisme de masse, de la guerre planétaire contre l’Axe du Mal légèrement désaxé, de la concurrence libre et non faussée, de la fonte des pôles et de la dissémination des mini-bombes nucléaires, de la crise du pétrole et autres joyeusetés, problèmes non polynomiaux complets et code binaire compris, des textes de cinglés pas très scientifiques du genre Moi, Oiseau Tranquille, j’ai brisé le temps. Je me suis écarté des chemins parmi les roches et les pins, j’ai cherché plus haut et plus loin ma propre tracée. Derrière moi l’air se referme intact. Je me suis écarté et à l’écart je reste. Vif. Jamais attendu, ni perdu, ni connu. Jamais retrouvé. Le printemps étonné ouvre dix mille portes invisibles. Deux arbres aux écorces trempées, verts, noirs, jaunes. Deux pierres éclatées, noires, blanches, rouges. Le grand ciel lavé, multiplié. Le nuage affectueux. Le torrent éperdu et noueux tranche le silence amoureux. Les chevaux sans rênes traversent les lacs profonds. Eux suffisent. Frôlant la cime des arbres torturés, sur les flancs de ces montagnes oubliées, je cherche sans trouver et je ris !je ne sais plus ce que je cherche. J’oublie vite. Prodigieusement vite. Et puis, croyez-moi, une soif à liquéfier les caillasses. Aussi je vole vers le front du glacier, étonné d’être si rapide, oui je vole !Mes ailes, amies infinies. Caverne bleue, passante, gorgée d’échos. Eau sans futur. La mort est assise à mes côtés. Elle a pris la forme d’une fille belle, nue et sonore. Midi dans les herbes. Je bois midi. Rien ici ne sera plus vendu, je le sais. L’horizon déborde de promesses chiffrées. Que je déchiffre, fou de chance. Vues d’ici, morts et vies de toutes choses et tous êtres, inégalement vues, me semblent également séduisantes. Ciel indompté, terre en révolte sourde, homme et oiseau, enfant aux merveilleux raisonnements, je reprends le chemin, agitant les poussières dorées, caressant les cascades orphelines et les branches blessées, muet de désir et mes mains sont des armes ou des peintures du style de la Fille violette que René, qui m’a traîné jusqu’à l’atelier, m’offre gratis sans accepter la moindre discussion, moins de vingt minutes après que je lui ai mis entre les mains l’édition de poche qui regroupe tous les bulletins de Potlatch ?


A écriture, peinture somptuaires, éditions, galeries somptuaires. Papier de riz. Granges abandonnées. Hecho a mano.

 

Mais revenons-en à la Fille violette si vous le voulez bien.

 

Tombé amoureux d’elle au premier regard. Elle est venue poser à l’atelier « parce qu’elle était superbe ». Elle s’est assise sous la fenêtre et la lumière vient maintenant frapper sa hanche et le casque de ses cheveux, blanche, ambrée, bleue. Elle est là, poignets croisés, coudes aux genoux, épaules hautes et libres, pensive, elle n’espère rien. Elle a tous les visages. Ni tourmentante, ni tourmentée. Fugitive, immobile, elle est assise au milieu du temps (mon endroit préféré), elle est, en attendant mieux (ça viendra), définitivement négative, idéologiquement irrécupérable.


Moralité, premier critère pour être édité par les Presses Ducales de Barataria:


ETRE ASSIS(E) AU

MILIEU DU TEMPS


Repense à Jen, forcément, nos conversations sur les plages et les falaises radieuses, son beau visage sombre aux yeux bridés, si troublant à chaque fois, elle toujours assise au milieu du temps dont elle parle tout le temps, assise dans mon souvenir plus précisément sur les ruines du misérable bunker de la baie des Trépassés, ou plutôt de la baie du Ruisseau, ses longs cheveux bleus et noirs lâchés au vent en étendard sans cause (dans ce site l’extrêmisme s’était proclamé indépendant de toute cause particulière, et s’était superbement affranchi de tout projet), ni triste, ni joyeuse, ni absente, ni présente, ni passée, ni future… Le temps elle-même.


Fume un cigarillo, perplexe, découverte sur découverte ces derniers temps, René se roule une cigarette qui ne paie pas de mine, on traverse tranquillement les pelouses sacrées et désertes du Luxembourg. Une fillette nous observe attentivement avant de faire pareil. Nos traces dans l’herbe vierge. Conspiration des Signes. Il m’annonce que je serai son témoin à l’église. Je ne suis pas baptisé. On s’en fout. Qu’est-ce que je vais lire ? Un passage du Cantique des cantiques, peut-être, je réponds un peu par provocation, un peu parce que j’ai appris à ne pas renoncer facilement aux beaux détails, du genre Tu es belle, ma compagne, comme Tirça, jolie comme Jérusalem, terrible comme ces choses insignes. Détourne-toi de mes yeux, car eux m’ensorcellent. Ta chevelure est un troupeau de chèvres dégringolant de Galaad. Tes dents sont un troupeau de brebis qui remontent du lavoir : toutes ont des jumeaux, on ne les arrache à aucune. Comme la tranche de la grenade est ta tempe à travers ton voile. Soixante sont les reines et quatre-vingts les maîtresses, et les adolescentes sans nombre. Au jardin des noyers je descends pour admirer les pousses de la vallée, pour voir si le cep bourgeonne, si les grenadiers fleurissent.


Dans le train au retour une fille lumineuse aux magnifiques cheveux blonds et crêpus, un corps de chasseresse, des jambes infernales, des yeux d’un vert radieux, l’oreille vissée à son portable, me sourit. Je reconnais Cécile F.

 

Une inconnue, 2005

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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 08:38

 

dao1-001.jpg

 

Après nos longues discussions au bord de l'Atlantique et nos tentatives de traductions en commun de Zhuangzi, mon amie Jen s'était mise à écrire elle aussi une pièce de théâtre. Le soir, quand nous nous retrouvions dans sa chambre ou la mienne, elle m'en montrait certains passages parce qu'elle savait à quel point ils me toucheraient. Le rôle du choeur antique était tenu par le personnage d'un fou aveugle, presque invisible mais présent à chaque scène quelque part dans le décor, dont j'ai noté ces quelques phrases:


On croit être les victimes du temps. En réalité le chemin du monde n’est nulle part immobile. Comment serait-ce possible ? Nous sommes nous-mêmes notre propre voyage. C’est pourquoi nous sommes aussi le temps. Nous sommes le temps lui-même. Fugitif. Impénétrable. Implacable.

 

Nous avions parlé en riant, la veille, de ces trois adjectifs: "J'aime le mot fugitif. Qu'est-ce qui peut être fugitif, en français?

 

- Une sensation fugitive.

 

- Qu'est-ce qui peut être impénétrable?

 

- Une forêt.

 

- Qu'est-ce qui peut être implacable?

 

- Un combat."

 

La dernière fois que nous avons passé quelques jours ensemble sur les bords de la Loire, en quittant le jardin de Chenonceaux où je venais de lui expliquer que passait pendant la guerre la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone sud, Jen m'a dit: "Je t'appellerai dans un mois en rentrant de Chine." Je n'ai plus jamais entendu parler d'elle.

 

Ce sera bientôt son trentième anniversaire.

 

Nous sommes nous-mêmes notre propre voyage. C'est pourquoi nous sommes aussi le temps. Nous sommes le temps lui-même. Fugitif. Impénétrable. Implacable.

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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 10:46

 


Sous-commandant Marcos 

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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 09:44

 


Muhammad Ali 

George Foreman 

James Brown

Norman Mailer 

Leon Gast 

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3 février 2012 5 03 /02 /février /2012 06:40

Pendant que la guerre ravageait les royaumes, quatre ermites taoïstes impuissants dans le monde mais réputés pour leur sagesse s'étaient retirés sur les hauteurs du mont Tan et soignaient les gens de passage.

Ils se retrouvèrent un jour au pied de la cascade où ils venaient puiser l'eau, et discutèrent de choses et d'autres.

Le premier, Sagesse-inférieure, dit: "J'ai certainement atteint la plénitude. Je ne descends plus dans les villages. Je me contente de peu, je n'ai qu'un vêtement, celui que je porte, et je n'ai presque plus besoin de manger. J'ai tellement peu de choses chez moi que même les mites n'habitent plus dans ma cabane."

Un autre, Petite-sagesse, dit: "Je n'ai certainement pas encore atteint une telle sagesse, car je mange encore des céréales et j'ai encore un peu de vin caché sous mon lit, mais j'aurai bientôt si peu de choses dans ma hutte que même les mites ne resteront plus chez moi."

Un troisième, Grande-sagesse, dit: "Votre sagesse surpasse à coup sûr la mienne. Je ne comprends rien. Les mites n'habitaient plus chez moi, puis elles sont revenues. Je n'ai pas d'explication, car je ne possède moi aussi que le vêtement que je porte et je m'étais mis en tête de ne me nourrir plus que d'air et de rosée. J'ai cherché partout dans ma cabane s'il restait un seul grain de riz quelque part, mais en vain. Puis les mites ont à nouveau disparu. Je fais maintenant comme s'il n'y avait jamais eu de mites dans tout l'univers. Et même si elles revenaient dans ma cabane, pourquoi me dérangeraient-elles?"

Le quatrième, Sagesse-profonde, parla le dernier: "Quant à moi je vous imite tous trois, car je vois bien que chacun d'entre vous est plus sage que moi. Parfois j'ai un vêtement, parfois j'en vole un deuxième dans un village le temps de laver le premier, puis je rends le moins bon, parfois je n'en ai plus, parfois je vole du riz, parfois je ne mange rien, et il faudra que Sagesse-inférieure me dise où il trouve son vin, car il est fort bon. Mais dites-moi: qu'est-ce que des mites?"

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 23:56

 


 

 Marion Harousseau

Jean-Philippe Rameau

Platée

Marc Minkowski

Les Musiciens du Louvre

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